Tous les arts empruntent à la nature les réalités dont ils nous offrent l’image, car la nature, ce n’est pas seulement le ciel, la terre et la mer, les champs et les bois, les rochers, les animaux et les plantes, c’est aussi la nature humaine, notre âme, nos instincts, nos penchants, nos habitudes, la destinée de notre cœur, la société même où nous vivons, ses croyances et ses dieux, ses mœurs et ses usages, qui deviennent pour l’homme une seconde nature... Telle peuplade d’Afrique ou d’Amérique ne connaissait pas la charrue, mais connaissait le tambourin, la flûte et les danses figurées. La Grèce eut de grands poètes avant de savoir écrire ; elle se nourrissait encore d’un pain grossier, et déjà elle avait des chanteurs qui la faisaient rire et pleurer ; c’était pour elle le pain de l’âme. D’un bout du monde à l’autre, l’homme n’a pas attendu d’avoir perfectionné ses industries pour créer ce qu’on appelle les beaux-arts, tant ce luxe lui semblait nécessaire. Mais auquel de ses besoins a-t-il pourvu en les créant ? A quoi peuvent-ils lui servir ? Que lui revient-il de son invention ? Le premier caractère commun à tous les arts est d’être des sciences destinées uniquement à nous donner des plaisirs. Il n’en est aucun qui ne demande un pénible apprentissage, de longues et difficiles études et beaucoup de pratique ; on passe sa vie à les apprendre, on ne croit jamais les savoir. Aussi bien, l’artiste le plus rompu à son métier n’exécute une œuvre nouvelle qu’au prix d’un dur labeur, d’une application forte et soutenue de toutes ses facultés, d’une contention d’esprit égale à celle du physicien arrachant à la nature un de ses secrets ; c’est un travail qu’on quitte à contre-cœur, comme le disait Balzac, et auquel on se remet avec désespoir. Un homme du monde demanda un jour au plus joyeux de nos vaudevillistes s’il buvait beaucoup de vin de Champagne en faisant ses pièces. « L’imbécile ! disait ce grand amuseur ; il ne sait pas que le plus mince de mes scénarios m’a fait passer des nuits plus austères que celles d’un chartreux. » Ces sciences si péniblement acquises, si laborieusement pratiquées, ne servent ni à rendre les hommes plus savants ou meilleurs, ni à les secourir dans leurs nécessités, ni à rien ajouter à leur confort ; elles ne se proposent...
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