Livre numérique
de Jean-Fabien SpitzL'individualisme radical a souvent été considéré comme le signe distinctif de la philosophie politique moderne : chacun étant à lui-même la mesure de son propre bien, les règles communes de justice et de droit ne peuvent naître que du consentement, du contrat ou de l'artifice. Le présent ouvrage entend au contraire étudier la manière dont l'œuvre de Locke recompose l'idée de normes de moralité commune fondées en nature, de manière à la rendre compatible avec un individualisme de responsabilité éthique, et à pouvoir ainsi l'injecter au cœur de la conception moderne de la liberté. C'est en effet autour de normes naturelles que les individus sont unis - indépendamment de leur assujettissement à un pouvoir - en une communauté pré-politique dont les principes sont implicitement affirmés dans le moment de la constitution de l'autorité civile. Grâce à cette communauté éthique naturelle, les citoyens des démocraties modernes convergent sur des principes abstraits de moralité et de décence qui leur permettent de ne pas devoir le tout de la société qu'ils forment les uns avec les autres à l'autorité qu'ils se donnent par artifice, et d'être en mesure d'opposer à la puissance civile constituée par contrat le nécessaire respect des normes qui forment l'ossature de leur union. La liberté moderne se trouve ainsi fondée, grâce à Locke, non seulement sur des mécanismes constitutionnels qui arrêtent le pouvoir par le pouvoir, mais aussi par l'idée que l'institution de l'autorité se fait sous le regard d'une conscience morale des associés, et que sa légitimité tient au respect des principes sur lesquels ils s'unissent.